Récit de vies
Pour que le Domaine des Moriers s’esquisse, il ne fallut qu’une rencontre, à l’occasion des vendanges dans cette quiétude de Moulin-à-Vent.
Dès qu’ils portèrent leur verre à leurs lèvres, Dominique Cor et François de Nicolaÿ furent conquis par le caractère d’un Beaujolais digne d’être défendu. En rachetant le chai de deux frères en 2018, les deux amis réalisèrent un assemblage comme on en voit peu dans les parages : François dirige les vins à l’aune de la sagesse et se fie à l’émotionnel quand Dominique pique au disruptif, faisant saillir les axes analytiques, rationnels.
Si cette association semble si improbable qu’elle n’aurait pu être prédite, elle n’en reste pas moins un récit de vignes. Dominique a certes mené une carrière au sein de grandes corporations américaines, qui le prédisposait au numérique. Établissant des stratégies pour déployer dans le monde entier les ventes de jeux vidéo, il conservera toujours dans sa mémoire cette bascule, quand dans sa jeunesse, il rencontra un Château Margaux. Année 1953, cette bouteille précieusement entreposée sous son toit. Au-delà de sa maîtrise du management et de l’angle business, au Domaine des Moriers, ce qu’insuffle Dominique est aussi affaire de tendresse. Quant à François, la vigne le tient depuis qu’il est enfant, et le blason familial des Chandon rayonnait déjà parmi les initiales françaises qui s’étaient fait un nom au-delà des frontières. Les années passées à éduquer son palais dans la cave de ses parents, où s’alignaient des cuvées parmi les plus mémorables, préfiguraient le parcours du négociant dans la capitale. Il reprendra la direction de ses terres bourguignonnes, dont sa mère avait parfaitement assuré la transition vers la biodynamie. Avec le Domaine des Moriers, François déploie son expertise technique, et mène lui-même des parcelles vers une gestion plus saine, pour changer la donne.
Depuis qu’ils ont planté les premiers rangs, les deux associés perpétuent une certaine tradition de pilotage à quatre mains. Après avoir apprivoisé le domaine, qui relevait davantage du jardinage que de la viticulture, François et Dominique ont solidifié la direction à donner à leurs crus, aboutissant à des millésimes distingués aux nombreuses distinctions. En près de deux décennies, ils ont pu voir les Moriers évoluer, se transformer, l’association grandir en amitié et le rattachement de terres acquises à Lancié. Cette démarche en duo se poursuit d’ailleurs aux fourneaux. Les compères se retrouvent dans la passion culinaire, qui les fait revisiter le ragoût de homard de l’Île de Sein, sous le mentorat d’un chef doublement étoilé. Aussi, les bouteilles des Moriers accompagnent à merveille ces deux épicuriens quand l’un prépare un poulet de Barbezieux comme au temps des aïeux, quand l’autre régale avec un coulis d’étrilles à se damner les papilles. Au Domaine des Moriers, on ne manque jamais de célébrer ces moments partagés.